Dom Juan ou les limbes de la mémoire : une belle revisite de Molière !

Après vous avoir partagé le thriller de Stephen King Misery en version théâtrale, je change de registre pour me diriger vers une revisite d'un classique Français : Dom Juan de Molière. Perdu dans les limbes de sa mémoire, Dom Juan doit affronter ses démons et dieu sait qu'ils sont nombreux ! Mais que vaut ce huis clos actuellement programmé au théâtre de la Croisée des chemins ? 

Dom Juan ou les limbes de la mémoire 

Un Dom Juan torturé

Dom Juan ou les limbes de la mémoire est une pièce théâtrale programmée jusqu'au 4 novembre 2018 à La croisée des chemins. Fondé en 2016 par Mahmoud Ktari, ce petit théâtre de quartier à la particularité de proposer une large sélection de pièces aussi bien issues de la littérature classique que contemporaine, mais également des spectacles musicaux et familiaux. J'y ai fait ces dernières mois de belles découvertes notamment avec l'histoire du roi Ludwig II de Bavière, la relecture de Lady Macbeth ou Mama Khan, le chant de la terre Lakota qui m'a transporté en terre amérindienne. Si vous aimez la diversité et que vous avez soif de découverte, c'est un théâtre qui sera vous surprendre.

Dom Juan en proie à ses démons

Un Molière ingénieusement revisité

Dom Juan ou les limbes de la mémoire, d'après un texte de Molière, est une adaptation d'Audrey Mas, mise en scène par Sonia Ouldammar. Programmée une première fois en début d'année 2018 dans ce même théâtre, cette pièce, de la compagnie Icare de Naples, m'avait tenté à l'époque, mais faute de place disponible, j'avais dû y renoncer. J'ai donc été ravie lorsque j'ai découvert sa reprise et d'autant plus que la pièce est éligible aux P'tits Molières 2019 : une cérémonie qui récompense les petites salles parisiennes de moins de 150 places.

Dom Juan vieillissant

Dom Juan ou les limbes de la mémoire nous propose un Dom Juan vieillissant, qui doit faire face aux frasques de son passé... On connaît bien Dom Juan, tel que Molière a décidé qu'il soit : peu respectueux des règles sociales, multipliant les conquêtes amoureuses (la fidélité est à ses yeux synonyme de mort), égoïste, égocentrique et cruel (il considère les femmes comme des objets), et en même temps totalement esclave de son besoin de liberté. 

Molière, peinture Charles-Antoine Coypel

Dans cette adaptation, nous découvrons un Dom Juan au terme de sa vie, plus ou moins contraint par Sganarelle - qui n'a plus rien à voir avec le valet de Dom Juan - de réfléchir sur ses actions passées : au vu de sa vie tumultueuse, cette introspection de son âme risque d'être plus éprouvant qu'il aurait pu l'imaginer... 

Autant vous dire que ma curiosité a été piquée au vif : comment ce Dom Juan si orgueilleux va réagir alors qu'il se trouve aux portes de la mort, prêt à subir son châtiment ? Pour le découvrir, nous nous sommes installées au premier rang avec Bénédicte du blog Princesse acidulée, l'emplacement étant libre.

Avis sur Dom Juan ou les limbes de mémoire

La salle dans la pénombre nous laisse malgré tout apercevoir Dom Juan allongé sur un divan ainsi qu'un personnage mystérieux assis sur un vieux bureau. C'est alors que la scène s'éclaire... Dom Juan, sûr de lui, orgueilleux et nostalgique de sa vie d'antan, se remémore les frasques de son passé. Face à lui, un Sganarelle qui n'a plus rien d'un valet, mais plutôt d'un psychanalyste à l'écoute de son patient : attentif, prêt à le guider vers l'introspection de son âme. Peu à peu, les souvenirs remontent, des voix de l'au-delà s'expriment : ce sont les personnes que Dom Juan a lésées dans son passé... Comment va-t-il réagir ? Aura-t-il droit à la rédemption ou sera-t-il soumis à un châtiment divin ? 

Dom Juan a été joué si souvent au théâtre qu'on en finirait presque par connaître toutes les répliques ! Il est donc difficile d'être tout à fait surpris lorsqu'on va voir sur scène ce Molière... Mais c'était sans compter Dom Juan ou les limbes de la mémoire ! En effet, cette adaptation d'Audrey Mas permet, grâce à un remaniement fort habile - et ce toujours dans le respect de l'oeuvre - une nouvelle vision de ce grand classique. Ici, c'est de l'intimité de Dom Juan dont il est question, un Dom Juan qui se dévoile jusqu'au plus profond de son être. On l'écoute avec grande attention, parfois il nous agace parce qu'il EST Dom Juan, jusqu'au moment où il nous bouleverse, dévoilant un être torturé. Serait-il donc possible d'éprouver de la compassion pour ce Dom Juan ? 

Crédit photo : Photographie Lajos Kulcsar  Retouche photo Aymeric Marvillet (Damoiseau Chimerya)

Ce face-à-face entre Dom Juan et Sganarelle est particulier car il donne l'impression et même la certitude d'être dans un cabinet de psychanalyste. Grâce à la pertinence des morceaux choisis, la personnalité de Dom Juan nous apparaît rapidement, permettant de bien cerner cet homme au passé bien chargé. 

Un Dom Juan confronté à ses démons

J'ai été admirative du jeu du comédien Patrick Rouaud qui interprète avec énormément de passion ce Dom Juan. Cela se sent dans son jeu si habité. Il a su capter dès le départ toute l'attention du public aussi bien dans les moments d'exaltation comme dans les moments de grande détresse. En effet, ce Dom Juan passe par toutes les émotions et nous apparaît comme un homme plus torturé qu'on ne l'aurait imaginé. Cela a dû être quelque chose de fantastique pour le comédien de pouvoir jouer cette revisite, d'autant plus que c'est un rôle qu'il affectionne particulièrement, pour l'avoir joué plusieurs fois au cours de sa carrière.

Crédit photo : Photographie Lajos Kulcsar Retouche photo Aymeric Marvillet (Damoiseau Chimerya)

Aux côtés de Dom Juan, on découvre un Sganarelle très élégant, énigmatique, sachant s'effacer pour le laisser s'exprimer - tout en sachant le guider vers le chemin de la rédemption, en lui faisant prendre conscience de ses actes passés. 

Un Sganarelle raffiné et élégant

On est loin du Sganarelle de Molière de la version initiale : un valet obéissant (bien qu'il n’hésite pas à critiquer son maître), soumis à son maître tyrannique, mais finalement aussi dépendant de Dom Juan que ce dernier peut l'être de lui. Ici, Sganarelle est raffiné, très élégant dans sa tenue comme dans ses manières : on pourrait presque le qualifier de dandy. À la fois posé et réfléchi, il retranscrit dans son carnet toutes les "confessions" de ce Dom Juan, espérant que ce dernier va prendre conscience que sa vie a eu des reproductions sur les personnes qu'il a côtoyé. Entre le jeune Sganarelle qui prend peu à peu le pouvoir sur le vieux Dom Juan, le contraste est saisissant. Je me suis régalée de cette interprétation de Sganarelle par Aymeric Marvillet, tant et si bien que je serai curieuse de le voir jouer dans d'autres rôles !

Un mot sur les comédiens

Après une formation au conservatoire d'art dramatique, Patrick Rouzaud se forge une expérience aussi bien dans la mise en scène (dont de nombreux Molière) qu'en tant que comédien. Il dirige depuis 1984 la compagnie Icare de Naples. 

Patrick Rouaud  Dom Juan

 Passionné par l'art, Aymeric Marvillet joue ses premiers rôles sur les planches à l'âge de 9 ans et en a fait depuis son métier. Il se passionne aussi pour le dessin, le graphisme, l'écriture, la photographie et la vidéo. En 2018, on a pu le voir dans la pièce Les Rustres (de Carlo Goldoni) de la compagnie Icare de Naples. 

Aymeric Marvillet Sganarelle

En conclusion : Dom Juan ou les limbes de la mémoire offre une version originale de l'oeuvre de Molière en la transposant dans l'avenir de Dom Juan, tout en prenant garde de ne pas dénaturer l'oeuvre. J'ai trouvé cette introspection très pertinente et efficace car elle permet de découvrir Dom Juan sous un autre angle.

Avez-vous déjà vu Dom Juan au théâtre?
Quel souvenir d'école gardez-vous  de Molière ?

 Représentation :
Pièce Dom Juan ou les limbes de la mémoire

Du  14 septembre au  4 novembre 2018 

Prix: de  12 à 15 €

Le Vendredi 20h et dimanche 17h

 La croisée des chemins 43 rue Mathurin Régnier 75015 Paris

Comédiens:   Patrick Rouzaud et Aymeric Marvillet

Mise en scène par  Sonia Ouldammar

Adaptation : Audrey Mas
Durée:  50 minutes

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