Avis sur Agatha de Marguerite Duras au Café de la Danse : l'inceste au théâtre

La rentrée est l'occasion de découvrir de nouvelles programmations artistiques. C'est ainsi que je me suis laissée tenter par Agatha, mise en scène de Hans Peter Cloos. Actuellement au Café de la Danse à Paris, cette pièce de théâtre de Marguerite Duras aborde un sujet tabou et socialement réprimé : l'inceste. 

Avis sur la pièce Agatha de Marguerite Duras

⇒ Théâtre Café de la Danse Paris ⇐

Agatha de Marguerite Duras est joué jusqu'au 7 octobre 2017 au Café de la Danse, situé dans le 11eme arrondissement de Paris, dans le quartier de la Bastille. Inauguré en 1992, ce lieu de spectacle parisien pluridisciplinaire est surtout connu pour ses programmations musicales mais il accueillera également, durant un mois, un art artistique différent avec cette pièce au sujet très délicat parlant de l'inceste.

Marguerite Duras : une auteure qui casse les codes

Agatha est une pièce écrite par Marguerite Duras en 1981. L'auteure, né en 1914 en Indochine, n'hésitait pas, de par son style, à casser les codes aussi bien dans le théâtre qu'au cinéma. Le thème de l'inceste abordé dans Agatha, n'y échappe pas puisqu'il est fortement réprimé dans les conventions sociales contemporaines. 

Cette histoire peut être perçue comme le miroir de la propre vie de Marguerite et du sentiment qu'elle éprouvait pour son jeune frère qu'elle aimait plus que tout au monde. Elle a d'ailleurs suggéré les liens incestueux dans ses trois romans indochinois (Un barrage contre le Pacifique, L'amant, L'amant de la Chine). Pour cela, elle a utilisé une certaine ambiguïté dans sa narration en se cachant derrière un personnage. 

Ceci étant, n'oublions pas que Marguerite Duras a baigné dans une culture vietnamienne plus souple puisqu'il n'y a pas de notion d'inceste s'il y a pas de pénétration. On est donc là face a une convention sociale différente de la France.

En France, le code civil prévoit l'interdiction au mariage entre gens de la même famille mais ne condamne pas les rapports sexuels ou d'avoir des enfants, chez des personnes majeures et consentantes. Dans Agatha, Marguerite Duras met justement en avant ce consentement entre Agatha et son frère. 

Avis sur Agatha

Habituée aux petits théâtres parisiens, j'ai été presque étonnée par cette salle spacieuse au style industriel. Si la disposition des places est libre, le soir de la première, les 5 premiers rangs étaient réservés. Je me suis donc installée au milieu du 6eme rang qui offre une très belle visibilité sur l'ensemble de la scène.

L'histoire commence lorsque Agatha donne rendez-vous à son frère dans la villa familiale de leur enfance, afin de lui annoncer son départ définitif loin de lui. Le lieu choisi est fort symbolique puisqu'il s'agit de la Villa Agatha, achetée peu de temps avant la naissance de l'héroïne qui lui valut d'ailleurs son prénom. Située au bord de mer, la villa a vu naître l'amour interdit entre le frère et la sœur.

Crédit photo @photoLot

Si la demeure fut un temps assurément belle et pleine de vie, on découvre un intérieur abandonné depuis fort longtemps: la déco est ancienne et les murs se délabrent. Il ne reste à présent que les vieux souvenirs entre le frère et Agatha. Des souvenirs d'enfance et d'adolescence que se remémorent les deux protagonistes... Le souvenir d'un amour interdit et incestueux. 
Il est souvent question tout au long de leurs échanges du piano et de la valse de Brahms que le frère a toujours su mieux jouer que Agatha, de la blancheur du corps d'Agatha, symbolisé un temps par la tenue vestimentaire des comédiens. 

Crédit photo @photoLot

Les rapports entre eux sont particuliers, surtout de la part du frère qui se refuse à quitter Agatha. L'ambiance générale est mélancolique, parfois pesante du fait des choix musicaux, mais bénéficie aussi d'une mise en scène particulière qui permet aux spectateurs "d'épier" des moments qui nous auraient pas été possibles de voir normalement. L'ensemble est assez sombre, comme pris dans une brume où des souvenirs lointains en noir et blanc resurgissent. 

Malgré le style " d'auteur" de la pièce, Agatha ne peut que capter l'attention d'un public ouvert d'esprit. Chaque spectateur aura sa propre opinion sur le sujet et sera de ce fait plus ou moins touché par les réactions virulentes - voir toxique - du frère, allant même jusqu'à un amour malsain. Pas du fait de l'inceste, qui peut évidement accentuer ce sentiment, mais tout simplement par ses réactions excessives et violentes. On finit par se demander si Agatha a vraiment envie de fuir son frère ou si secrètement, elle ne rêve pas qu'il la retrouve.

Une mise en scène de Hans Peter Cloos 

C'est une mise en scène qui peut déconcerter car on est un peu, à mon sens, dans une mouvance typique de ce qu'on peut voir dans le film d'auteur français - mais version théâtrale. Je parle de ce côté un peu intellectualisé qui peut parfois rebuter. C'est étonnant car la mise en scène a été réalisée par Hans Peter Cloos, allemand mais qui vit en France depuis 1979. Il faut croire qu'il s'est bien imprégné de notre culture artistique nationale ! 

Fort heureusement, le metteur en scène a su jouer avec un accessoire qui permet de dépoussiérer le genre en impliquant le spectateur dans la vie des personnages. Cela permet ainsi de moderniser le style et d'apporter une note inattendue à la mise en scène. 

Crédit photo @photoLot

Les comédiens D'Agatha

Florian Carove né en Autriche, a commencé sa carrière sur les scènes viennoises après sa formation au conservatoire national supérieure de Vienne. Il sera nommé meilleur espoir Nestroy en 2006 (l'équivalent des Molières).
Sa venue à Paris en 2008 lui permet de rencontrer Hans Peter Cloos lors d'une Masterclass du metteur en scène. Cela aboutira a une collaboration en 2009 dans la pièce Saleté où il interprète le rôle de Sad. Cela sera son premier rôle au théâtre en France.
Depuis, le comédien a joué dans plusieurs pièces (MacBeth, le paysan millionnaire...), plusieurs seconds rôles à la télévision, ainsi qu'au cinéma en 2014 dans le film Boy like US.
Agatha est donc sa deuxième collaboration avec Hans Peter Cloos. C'est un rôle qui est délicat à interpréter dans le sens où son personnage est si épris d'amour pour sa sœur que ce sentiment en devient toxique. Par ailleurs, certains costumes de son personnage sont si particuliers, qu'il faut être sacrément à l'aise surtout dans une pièce au sujet si délicat. 

Alexandra Larangot ©Larangot-Rouffet Claude  et Florian Carove © Stephanie Mohr

Alexandra Larangot est une comédienne française formée aux cours Florent. Après une expérience au Festival l'Aria en Corse, elle débute au théâtre dans la pièce Agatha. J'ai particulièrement aimé sa performance d'autant que le texte est loin d'être évident à interpréter. Elle a en outre une belle aisance sur scène : la comédienne se déplace avec naturel, elle sait remplir la scène en utilisant une belle palette émotionnelle. J'ai eu aussi un joli coup de cœur pour les tenues vestimentaires d'Agatha choisi par la créatrice de costume Marie Pawlotsky.

En conclusion: La thématique de l'inceste abordé dans Agatha par Marguerite Duras est un sujet que Hans Peter Cloos a su mener avec intelligence. Ce n'est pas forcément un univers vers lequel je me serais spontanément tournée mais je dois reconnaître que cela m'a permis de m'ouvrir vers un autre style artistique. 
C'est tout de même une pièce qui demande, de fait de son sujet, de l'attention et de la concentration. Ma fille de 17 ans m'a accompagnée, mais je précise qu'elle est de nature curieuse et avide de découverte et par ailleurs dotée d'une sensibilité artistique, notamment théâtrale. 
C'est à mon sens une pièce destinée à un public ayant déjà une certaine connaissance de l'art théâtral et avec l'envie de découvrir des univers différents.

↪N'hésitez pas à lire l'avis D'Elodie du blog Serenamente  et de Bénédicte du blog Princesse acidulée.

 Connaissez-vous cette pièce de théâtre de Marguerite Duras ?

Avez-vous une oeuvre préférée de cette auteure ?

 Représentation :

Du 7 septembre au 7 octobre 2017

Prix: de 20 à 30 €

Du mardi au vendredi à 20h30

Samedi 17h et 20h30

Dimanche à 16h30

Café de la Danse 5 passage Louis Philippe 75011 Paris

Comédiens: Alexandra Larangot et Florian Carove

Mise en scène par Hans Peter Cloos

Durée: 1h40

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